En Afrique du Sud, le Cap redoute le « jour zéro » où la ville devra rationner drastiquement l’eau. Un phénomène qui menace d’autres villes mais pour lequel des solutions existent. Par Vazken Andréassian, Irstea
La deuxième ville d’Afrique du Sud à sec le 19 août prochain ? Avec l’officialisation d’un compte à rebours, la municipalité du Cap a voulu souligner l’imminence de l’interruption de la fourniture d’eau à domicile pour ses 3,7 millions d’habitants.
Et depuis que la BBC a surenchéri en publiant sur son site Internet une liste de 11 villes qui seraient condamnées à plus ou moins brève échéance au même sort, un vent de catastrophisme souffle dans les médias. On semble redécouvrir que la fourniture d’eau au robinet ne va pas de soi !
Que se passe-t-il au Cap ?
Si la ville du Cap se trouve à la pointe sud de l’Afrique, son climat est typiquement… méditerranéen. C’est ce qui explique que la vigne s’y sente si bien. Mais au-delà de convenir aux vignobles, le climat méditerranéen se caractérise par une sécheresse estivale très marquée. Et à notre fin d’hiver dans l’hémisphère Nord correspond une fin d’été dans l’hémisphère Sud : c’est traditionnellement la période de l’année où les réservoirs de stockage d’eau de la ville du Cap sont au plus bas.
Cette agglomération de plus de 3,7 millions d’habitants dispose de six barrages réservoirs au total pour stocker l’eau des rivières qui prennent leur source dans les montagnes de Cape Fold, à l’est de la ville. La capacité totale de stockage est de l’ordre de 900 millions de m3 (à titre de comparaison la capacité de stockage des Grands Lacs de Seine à l’amont de Paris est de 810 millions de m3).
Mais le problème que vit actuellement le Cap va bien au-delà d’une simple déprime saisonnière : une sécheresse prolongée qui sévit depuis 2015 n’a pas permis aux réservoirs de reconstituer leurs réserves au cours des hivers 2015, 2016 et 2017, entraînant une baisse régulière du taux de remplissage (voir le graphique ci-dessous). Seul un hiver 2018 particulièrement précoce et pluvieux pourrait à présent permettre d’éviter une coupure générale d’eau, quoiqu’il soit peu probable que l’on revienne à des taux de remplissage sécurisants en une seule saison.
Évolution du remplissage du réservoir de Theewaterskloof, le plus grand des réservoirs alimentant le Cap en eau. Ministère de l’Eau et de l’Assainissement d’Afrique du Sud, CC BY
L’influence du climat
Cette crise exceptionnelle a une cause clairement climatique (une succession ininterrompue d’années sèches) à laquelle viennent s’ajouter deux facteurs aggravants : une croissance de la population urbaine très soutenue – 80 % entre 1995 et 2018 – et un partage de l’eau entre la ville et les champs.
L’eau stockée dans les réservoirs d’alimentation du Cap ne sert en effet pas qu’à l’alimentation en eau potable : un tiers du volume est utilisé pour l’irrigation d’environ 15 000 hectares de vignes et de vergers situées autour du Cap.
Pourtant, la municipalité avait mis en œuvre dès la fin du XXe siècle une politique active de maîtrise de la consommation d’eau, qui a été stabilisée au niveau atteint en 1999 malgré l’augmentation considérable de la population (voir le graphique ci-dessous). Le taux de pertes par les fuites dans le réseau de distribution d’eau est bas (de l’ordre de 15 %) et la réutilisation des eaux usées (notamment pour l’irrigation des parcs et des golfs) est en fort développement.
La coupure générale est aujourd’hui une possibilité envisagée très sérieusement, dont la ville a déjà planifié les modalités : 200 sites serviront à la distribution d’eau ; les habitants pourront venir y chercher 25 litres d’eau par jour sous la surveillance de l’armée et de la police.
En attendant une éventuelle pluie miraculeuse qui viendrait remplir les réservoirs, la municipalité mène un véritable combat pour faire durer les stocks disponibles autant que possible, avec pour but de réduire drastiquement la consommation, notamment avec un nouvel objectif de consommation fixé à 50 litres par jour.
Crise locale ou crise globale ?
Au-delà de cette crise qui touche actuellement l’Afrique du Sud, on peut s’interroger sur le caractère local ou global de la situation.
La BBC a publié une liste de onze villes – Sao Paulo, Bangalore, Pékin, Le Caire, Jakarta, Moscou, Istanbul, Mexico, Londres, Tokyo et Miami – qui connaissent des problèmes récurrents d’alimentation en eau ; mais on peut trouver d’autres listes publiées soit par la Banque mondiale, soit dans différentes revues scientifiques.
Le passé récent a également vu des crises d’alimentation en eau se produire en de nombreux endroits du globe. Ainsi de Barcelone, alimentée par des tankers en 2008, ou de Melbourne qui a craint de devoir couper l’eau en 2009 et 2010 suite à une sécheresse extraordinairement prolongée (1998-2010). La même sécheresse a obligé la ville de Sydney à prendre des mesures de restriction qui ont permis de diminuer de 20 % la consommation d’eau.
En France, c’est l’île de Mayotte qui a failli être ravitaillée par tanker en 2017, du fait d’un démarrage très tardif de la saison des pluies.
Si la sécheresse exceptionnelle que connaît la ville du Cap peut probablement être considérée comme un phénomène local, les prédictions démographiques des Nations unies pour les grandes agglomérations ne semblent guère encourageantes : les taux de croissance démographique actuels en Afrique, Asie, Amérique du Nord et du Sud sont tels, qu’il semble bien que l’alimentation en eau des grandes villes sera au vingt et unième siècle un défi majeur (voir le graphique ci-dessous).
Des solutions existent !
Il existe aujourd’hui une grande variété de solutions sur le long terme pour éviter ces crises d’alimentation en eau des villes ; elles vont d’une réduction des consommations à l’augmentation des stockages d’eau et à une meilleure gestion des ressources existantes.
– Changer les habitudes de consommation
Changer les habitudes des citadins est la façon la plus sûre d’éviter les crises de l’eau. Cela reste cependant un objectif difficile à atteindre, comme le souligne le sociologue Rémi Barbier. À noter qu’au cours de la dernière décennie, l’Agence française de la biodiversité a lancé un certains nombres d’études permettant de proposer des solutions pour réduire les prélèvements.
– Gérer de façon plus économe les usages de l’eau agricole
L’amélioration de l’efficience des irrigations est, à l’échelle planétaire, la voie majeure d’économie : il suffirait en effet de réduire de 10 % les quantités d’eau allouées à l’agriculturepour doubler les disponibilités en eau vouées à l’alimentation en eau potable.
Pendant de nombreuses années, l’effort a porté essentiellement sur les techniques d’irrigation (l’aspersion et le goutte à goutte, plus économes, remplaçant petit à petit l’irrigation gravitaire, où l’eau est apportée en inondant le champ). Aujourd’hui, on travaille sur les réutilisations des eaux usées urbaines pour l’irrigation.
– Améliorer l’efficacité de la distribution
En réduisant les pertes des réseaux de transport et de distribution de l’eau, on peut économiser des quantités importantes. En France, on estime ainsi que les fuites des réseaux d’adduction d’eau potable s’élèvent à 25 % en moyenne, mais peuvent monter jusqu’à 40 % par endroit.
Ce chiffre, très élevé, doit toutefois être relativisé par la taille des réseaux de distribution (près de 850 000 km) : faire la chasse aux fuites n’est donc pas aussi simple qu’il y paraît et il serait illusoire d’espérer les éliminer toutes. Des solutions existent pour réduire leur impact comme, par exemple, la modulation de la pression nocturne du réseau afin de limiter le débit des fuites existantes.
– Mieux prévoir les écoulements naturels
Pour optimiser l’utilisation des eaux de surface, une prévision des écoulements est nécessaire : prévoir (à court terme dans le cas des crues, à moyen terme ou long terme – quelques jours à quelques semaines voire mois – pour les écoulements moyens et les basses eaux), permet d’anticiper les lâchers et d’économiser de l’eau.
Ce sont essentiellement les modèles météorologiques et hydrologiques qui permettront d’améliorer la prévisibilité des phénomènes. En France, un programme de recherche sur la prévision des étiages (Premhyce) va bientôt déboucher sur un système opérationnel de prévision.
– Mieux gérer les nappes d’eau souterraine
Pour les grandes villes qui s’alimentent en exploitant des nappes d’eau souterraines, le principal danger est celui de la surexploitation. Celle-ci est difficile à contrôler, notamment parce qu’une nappe souterraine est accessible à un grand nombre d’occupants du sol et que ses multiples exploitants n’ont pas toujours conscience de ce qu’ils exploitent. Les solutions de gestion doivent donc être collectives : il faut maîtriser les prélèvements, attribuer des droits à prélever et, surtout, faire respecter ces derniers en équipant les forages de compteurs.
Quid du dessalement ?
L’une des perspectives souvent évoquées pour lutter contre le manque d’eau est la production industrielle d’eau douce par dessalement d’eau de mer (ou d’eau souterraine saumâtre).
Cette solution est actuellement en plein essor dans différents pays du Proche et Moyen-Orient et au Maghreb. En Europe méditerranéenne, le dessalement se développe en Espagne (Barcelone, îles Canaries), à Chypre et à Malte. En France, le procédé reste très rare, mais les îles de Sein, Houat (Bretagne), et de Mayotte possèdent leurs petites unités.
Le dessalement reste une solution très coûteuse (aux alentours de 0,50€/m3 pour les très grosses usines) et fortement consommatrice d’énergie (de 3,5 à 18kWh/m3 selon les techniques).
L’exemple de Melbourne est à ce titre intéressant : l’État de Victoria a construit une usine de dessalement de l’eau de mer pour alimenter la ville en eau potable. Sa construction a démarré en 2009, en pleine sécheresse alors que le niveau des réservoirs avait atteint un minimum historique ; l’usine n’a été opérationnelle qu’à la fin 2012, alors que la sécheresse avait pris fin. Elle n’a finalement reçu sa première commande d’eau qu’en 2017.
La crise que vit actuellement le Cap nous rappelle que la fourniture d’eau au robinet n’a rien d’évident. Ce privilège moderne peut être remis en question par des aléas climatiques et par la formidable croissance des villes à l’échelle planétaire. Les métropoles vont devoir aller chercher leur eau de plus en plus loin, et ne manqueront pas d’entrer en concurrence avec des utilisateurs traditionnels, comme les agriculteurs.