Me SAÏD LARIFOU, AVOCAT D’OUSMANE SONKO DANS LE QUOTIDIEN (BURKINABE): « Les institutions de l’Etat sont instrumentalisées pour empêcher Sonko de devenir le prochain président du Sénégal »

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Le Sénégal a connu des remous ces derniers temps, consécutifs à la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko, et des velléités supposées du président Macky Sall de se présenter pour un 3e mandat. Des remous qui ont malheureusement causé plus d’une dizaine de morts, des vagues d’arrestations et des dégâts matériels importants. Dans l’interview qui suit, Me Saïd Larifou, un des conseils d’Ousmane Sonko, donne son point de vue sur la situation qui prévaut du côté de la « Teranga », réputée être un exemple de démocratie en Afrique de l’Ouest, sinon en Afrique de façon générale. Pour l’avocat, cet « acharnement » de la justice sur son client Ousmane Sonko, opposant au régime actuel, n’est autre chose que des manœuvres pour l’empêcher de briguer la magistrature suprême.

Vous vous êtes constitués avocat de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko. Qu’est ce qui a motivé votre décision ?

Le choix fait par le président Ousmane Sonko sur ma personne pour intégrer le pool d’éminents avocats déjà constitués pour assurer sa défense dans le cadre des procédures judiciaires ouvertes contre lui est un honneur et une responsabilité que j’ai acceptée d’assumer avec mes confrères pour dénoncer et combattre ensemble les injustices dont il est victime. Ces faits font l’objet d’une dénonciation au niveau international. L’opinion internationale est parfaitement informée et condamne la cabale judiciaire tendue à Ousmane Sonko pour l’empêcher de se porter candidat à l’élection présidentielle au Sénégal.

Finalement votre client a été acquitté des accusations de viols et menaces de mort, mais condamné à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse. Quelle est votre réaction par rapport à cette condamnation ?

Notre client, Ousmane Sonko est innocent. Il n’a commis aucun acte répréhensible. Tout au long de l’enquête menée à charge et lors de l’examen de ce dossier devant le tribunal criminel de Dakar, le Ministère public, comme la partie civile, n’ont apporté aucune preuve crédible sur les faits de viol et de menaces de mort ou d’autres infractions que notre client aurait commis. Même des enfants de la maternelle ont compris que la décision de culpabilité prononcée à son encontre pour corruption de la jeunesse est une décision manifestement politique avec un verni judiciaire, une décision de substitution rendue pour honorer une commande politique suite à la demande de requalification judiciairement inopportune et dangereuse formulée par le parquet et qui est la principale cause des graves troubles à l’ordre public qui ont occasionné des dizaines de morts et des centaines de blessés graves.

Les autorités sénégalaises sont les seules responsables de ce fiasco judiciaire et des conséquences des mesures arbitraires, injustes et abusives prises contre notre client qui, depuis des mois, est privé de ses libertés, ne pouvant sortir de chez lui, sa maison étant barricadée par les forces de défense et de sécurité sans autorisation du juge .

Cette condamnation a engendré des vagues de violences qui ont malheureusement fait des morts et des dégâts matériels. Quel commentaire faites-vous de cette situation ?

Dans une société démocratique, les autorités ne tuent et ne blessent pas balles réelles. Seuls les régimes peu respectueux de l’Etat de droit, non attachés au respect des Droits Humains, voire totalitaires, sont des adeptes de la répression sanglante. Dans le cadre d’une enquête internationale et indépendante, les autorités sénégalaises doivent s’expliquer sur la mort d’au moins vingt-trois personnes, dont trois enfants, lors des manifestations du 1er au 3 juin 2023 et sur le rôle et la responsabilité d’individus armées qui, habillés en civil aux côtés des forces de l’ordre, ont tué volontairement des manifestants. Contrairement aux déclarations du commissaire divisionnaire, les crimes atroces et cruels commis au cours de ces manifestations sont imputables non pas aux manifestants mais à ces individus armés qui opéraient aux côtés des forces de l’ordre. L’Etat, sans doute responsable de ces faits et du fiasco judiciaire dans l’affaire Sonko, a perdu toute crédibilité pour mener une enquête indépendante sur ces crimes dont certains relèveraient vraisemblablement de la compétence de la Cour pénale internationale.

Pourquoi de telles réactions s’il s’agit d’une décision de justice ? Ousmane Sonko n’est-il pas un justiciable

comme tous les sénégalais qui font face à la justice chaquejour?

Ousmane Sonko est respectueux des institutions de son pays. Il n’a pas peur de la justice car il est innocent. D’ailleurs, bien que conscient de l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques, malgré le blocus de sa maison et des humiliations que les autorités lui font subir, il a toujours répondu et comparu à toutes les convocations de la police et des autorités judiciaires de son pays. Les réactions s’expliquent sans doute par le refus de la population sénégalaise à cette instrumentalisation de la justice pour éliminer le principal opposant, favori de tous les sondages et candidat déclaré à l’élection présidentielle au Sénégal. Souvent, dans des sociétés éveillées ayant une conscience politique, l’injustice est vécue par l’opinion comme une humiliation et un mépris aux valeurs auxquelles elle sont attachées. Les Sénégalais sont connus pour leur attachement viscéral à la démocratie et à l’Etat de droit et ils sont très affectés par ce qui arrive à leur pays qu’ils ne reconnaissent plus. L’ampleur des manifestations est à la mesure de leur indignation voire de leur colère somme toute légitime.

Les partisans d’Ousmane Sonko voient en ces ennuis judiciaires des velléités d’empêcher l’opposant d’être candidat à l’élection présidentielle. Partagez- vous leur point de vue ?

Ousmane Sonko fait peur à ses adversaires. La tenue simultanée de deux procès en un temps record est l’illustration de leur désarroi. Il n’échappe à personne que des stratégies et toutes formes de manipulations sont mises en œuvre pour empêcher Sonko de se porter candidat, allant jusqu’à demander au juge de se substituer au peuple sénégalais. Ses amis ont raison de penser que les institutions de l’Etat sont instrumentalisées pour empêcher Sonko de devenir le prochain président du Sénégal.

D’aucuns estiment que le président Macky Sall viserait un 3e mandat, même si jusque-là il ne s’est pas prononcé sur la question. Quel est votre point de vue ?

Le 3e mandat est un déni de démocratie, un mépris à l’endroit du peuple. En démocratie, un mandat politique n’est jamais un contrat à durée indéterminée. La modification ou le changement de constitution pour se maintenir au pouvoir est un crime. Elle est toujours source de troubles politiques et sociaux. La tension politique et sociale au Sénégal a pour cause la volonté supposée de l’actuel chef de l’Etat de vouloir briguer un autre mandat après avoir fait modifier la constitution de son pays. Il faut savoir prendre de la distance avec le pouvoir dans l’intérêt supérieur de son pays et pour soi même. Personne n’est indispensable. Après soi, il faut penser que d’autres pourraient faire mieux.

Ne s’agit-il pas d’un procès d’intention d’autant plus que le président Macky Sall jusque-là ne s’est pas déclaré candidat ?

Dans l’intérêt du Sénégal, espérons qu’il s’agit effectivement d’un procès d’intention et que ceux qui lui prêtent cette intention se trompent.

S’il venait à le faire, c’est encore la question du 3e mandat que vous combattez au travers de l’ONG Waraba d’Afrique et votre engagement politique qui refait surface. Quel commentaire faites-vous ?

Waraba d’Afrique est une ONG panafricaine qui prône une alternance démocratique et apaisée en Afrique, prendra position en faveur du droit et pour le respect de la volonté du peuple sénégalais.

Comment peut-on résoudre définitivement ce problème en Afrique surtout francophone, puisque c’est généralement dans ces pays que l’on constate fréquemment les modifications des Constitutions ?

C’est un problème récurrent pour nos pays qui, plus de 60 ans après nos indépendances sont toujours à la traine, ne parvenant pas à inscrire les décisions et actes politiques dans une logique démocratique et respectueuse de l’Etat de Droit. Nos chefs d’Etat continuent en toute impunité, malgré la signature des conventions et des instruments internationaux, à faire de L’arbitraire et des modifications sur mesures et arbitraires des Constitutions, une règle de gouvernance. Heureusement que certains Chefs d’Etat élèvent le niveau en donnant des exemples et de bons exemples. Waraba d’Afrique a même engagé des actions et du lobbying pour l’attribution du prix Nobel de la paix à Samia Suluhu Hassan présidente de la Tanzanie pour ses actes politiques et d’autres chefs d’Etat feront également l’objet de distinction et honneur pour leur positionnement en faveur de la démocratie.

Sur la situation du Sénégal, la CEDEAO dans un communiqué, tout en condamnant les violences, a invité les sénégalais à défendre la réputation louable du pays. Quelle est votre réaction sur la sortie de cette institution ?

Nos organisations régionales et panafricaines à l’instar de la CEDEAO et l’Union africaine, sont simples caricatures, des machins dont les présidences sont assurées par des Chefs d’Etat dont certains font des assassinats, des emprisonnements politiques, des détournements des deniers publics et des changements des Constitutions à répétition, leur mode de gouvernance. Raisonnablement, est- il possible de compter sur ces organisations pour relever les défis auxquels notre continent est confronté lorsque l’actuel Président de l’Union africaine, dont la vocation est d’assurer l’indépendance effective de l’Afrique, cède, moyennant son maintien au pouvoir, une partie de son territoire et laisse volontairement ses concitoyens se faire humilier, et déplacer de force de leur propre territoire par une puissance occupante ? Le mode de fonctionnement et de désignation des dirigeants de nos organisations régionales et de l’Union africaine constitue un obstacle pour le développement de notre continent. Elles n’ont jusqu’alors pas réussi à résoudre, ne serait-ce qu’un des problèmes majeurs auxquels notre continent est confronté. La démocratie est en net recul, la question des migrants n’a jusqu’à présent pas fait l’objet de décision ou de résolution sérieuses. Et pendant ce temps, nos jeunes continuent de mourir par milliers en méditerranée, les conflits meurtriers se multiplient de plus en plus et la libre circulation et le libre établissement sur le continent tardent à se concrétiser. L’Afrique subit une nouvelle forme de colonisation sans que l’Union africaine ne parvienne à défendre les intérêts du continent et à dégager des horizons certains pour les futures générations d’africains. Il faut une refonte totale de nos organisations régionales et de l’Union africaine. La sortie de la CEDEAO et la déclaration du président en exercice de l’Union africaine sur les derniers événements du Sénégal sont un soutien du président de la Guinée-Bissau et celui des Comores à leur ami commun le président Macky Sall.

Avez-vous un appel à lancer pour conclure cet entretien ?

 Malgré les tristes événements qui impactent sur la vie des populations africaines, je reste résolument optimiste sur l’avenir de notre continent. Je constate avec intérêt une forte convergence des consciences des peuples d’Afrique pour l’Unité africaine. Ma génération a conscience de ses responsabilités mais aussi et surtout de nos potentialités, de nos moyens, de nos richesses et de nos possibilités humaines de pouvoir bâtir et reconstruire nos sociétés en harmonie avec notre environnement social et culturel et des nouveaux instruments, moyens pertinents acquis lors de nos formations et par nos expériences. Il nous faut juste des institutions régionales et panafricaines fortes et bien structurées avec des objectifs précis en matière de formation. Il nous faut de grandes écoles africaines avec des outils africains, investir massivement dans la culture pour conserver et consolider une identité africaine, assurer de façon effective la libre circulation et d’établissement sur l’étendue du continent. Nous devons définir nos priorités et nous doter de moyens pour les réaliser, sans quoi nous ferons perdre aux futures générations d’africains de belles perspectives.

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