L’opposant Succès Masra s’explique sur sa décision de reporter son retour au Tchad

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Succès Masra avait annoncé son retour au Tchad pour ce mercredi 18 octobre. Soit deux jours avant le premier anniversaire du « jeudi noir », quand la répression d’une manifestation contre la prolongation de la transition avait officiellement fait 73 morts, et plus de 200 selon l’opposition et des ONG. L’opposant tchadien qui avait quitté le pays juste après, reporte finalement son retour à début novembre. Entretien.

RFI : Succès Masra, pourquoi reportez-vous votre retour à Ndjamena ?

Succès Masra : Parce que des informations portées à notre attention font état de la possibilité d’un affrontement à l’occasion de notre retour. Nous, nous avons mis notre retour sous le signe de la réconciliation dans la justice et l’égalité et nous ne souhaitons pas. Deuxièmement, le facilitateur désigné de la CEEAC [Communauté économique des États de l’Afrique centrale, NDLR] nous a fait parvenir des informations suggérant fortement de décaler de quelques jours pour lui permettre de continuer et d’obtenir des éléments de réponse suite à sa médiation, sa facilitation après nous avoir reçu et après s’être rendu à Ndjamena. Donc nous avons décalé pour début novembre pour avancer dans le sens de la réconciliation nationale.

Aviez-vous peur d’être interpelé à votre arrivée, puisqu’un mandat d’arrêt international a été émis contre vous ? Il a fuité il y a quelques jours…

Non, pas du tout. Je n’ai aucun problème à répondre devant la justice de mon pays, d’abord pour le respect que j’ai pour l’institution qui doit être une institution respectable, même si c’était vrai-faux mandat d’arrêt qui a été exhibé pour des raisons purement politiques.

Pourquoi était-ce si portant pour vous de rentrer à ce moment-là, au premier anniversaire du jeudi noir ?

J’ai perdu des membres de ma famille, j’ai perdu des militants, j’ai perdu des sympathisants, j’ai perdu des cadres de mon parti. Je n’ai pas eu le temps de faire le deuil parce que je suis sorti pour porter la voix de ce peuple. Il m’a semblé important d’être là le 20 octobre pour avoir l’occasion d’honorer la mémoire de ces braves Tchadiens et Tchadiennes qui se sont mis debout pour la justice et l’égalité dont la vie a été emportée trop tôt, injustement.

La brutalité de la répression restera un marqueur ?

Il y a sans doute un avant et un après le 20 octobre. Il y a eu une cassure, il y a eu une rupture, il y a eu une déchirure profonde qui marquera sans doute l’histoire du Tchad moderne. Et pendant ce genre de moments, il faut identifier des âmes suffisamment grandes de part et d’autre pour être capable de recoller les morceaux sur la base de la justice et l’égalité.

Vous parliez il y a quelques semaines d’un accord de réconciliation qui était sur la table. Ce mandat d’arrêt signifie-t-il que cet espoir est déjà envolé ?

Jamais. Vous savez, moi, ma fille je l’ai appelé Espoir, « Hope ». Nous allons travailler à réconcilier ce peuple sur la base de la justice et de l’égalité. Nous n’avons jamais changé d’un iota là-dessus.

Qu’est-ce que vous proposez aujourd’hui, qu’est-ce vous demandez aujourd’hui ?

Ce que nous avons mis sur la table de la réconciliation, c’est un document en cinq points qui ont été transmis, et y compris au facilitateur désigné, et donc ce sont des propositions allant dans le sens de créer les conditions de sécurité juridique, politique, de liberté, d’encadrement, de réconciliation, de pardon et d’institutions qui permettront ainsi de manière inclusive et de manière totalement démocratique de permettre aux Tchadiens, enfin, de choisir leur dirigeant. Parce que en fait, depuis les indépendants jusqu’à aujourd’hui jamais le peuple tchadien n’a choisi ses dirigeants.

Le référendum constitutionnel sur l’état unitaire décentralisé c’est dans deux mois, le 17 décembre, quelle est votre position ? Le oui ? Le non ? L’abstention ?

En l’état actuel, ce n’est pas le projet le mieux abouti pour permettre de consolider le Tchad dans l’unité, dans la diversité tel  que nous l’imaginons. Et donc nous espérons que les jours et les semaines à venir pourront nous permettre encore de l’amender et de l’améliorer avant de le soumettre au choix des Tchadiens et des Tchadiennes.

Les soldats français qui se retirent du Niger vont devoir passer par le Tchad avant de regagner la France, Ndjamena l’a confirmé, comment accueillez-vous cette information ?

Je voudrais simplement dire que ces déménagements devenus récurrents, Mali, Burkina Faso, Niger, il y a là des leçons à tirer sans doute aujourd’hui pour permettre que nous puissions ensemble défendre les intérêts copartagés de lutte contre le terrorisme et de sécurité, tout en débarrassant ces relations-là des symboles d’hier qui ne sont plus défendables aux yeux de nos peuples aujourd’hui.

Les troupes françaises qui sont stationnées au Tchad devraient bientôt partir selon vous ?

Je pense que le train de l’histoire est celui-là. Mon intuition c’est que l’efficacité ne se résume pas à une présence physique permanente. En politique parfois les symboles sont plus importants que la substance, et donc il faut savoir lire les signes du temps pour ne pas donner l’impression, d’ailleurs dégradante quelque part pour l’armée française, d’apparaitre comme une armée devenue sans domicile fixe qui est chassée d’un pays africain. On peut l’organiser mieux et différemment.

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